Il y a une vingtaine d’années, dans les Cinque Terre, j’ai été frappée par cette petite fille en rouge maniant son épuisette avec concentration. Elle convoquait en moi quelque chose de diffus mais très fort. La photographie que j’ai prise de cette scène est épinglée depuis longtemps au-dessus de mon bureau. Aujourd’hui, en lançant « Le fil de mon histoire », je cerne plus précisément ce qu’elle m’évoque : partir en quête de l’invisible, sonder les eaux de l’inconscient et de la mémoire, oser la pêche miraculeuse. Est-ce que la petite fille, en plongeant son épuisette dans l’eau, sait ce qu’elle souhaite pêcher ? Ou est-ce un geste ouvert, qui appelle à la fois crabes et petits poissons, mais également la possibilité d’animaux des grands fonds ou du grand large – pieuvres, hippocampes, étoiles des mers, et peut-être même une sirène, un poisson volant, une baleine ? Car on le sait bien, les épuisettes de l’imaginaire sont extensibles !

La vie nous invite de mille manières – parfois peu agréables – à plonger dans les profondeurs de notre psyché. On peut par moments se sentir submergé·e, au bord de la noyade. Il n’est pas inutile alors d’appeler à l’aide (des cours de plongée sous-marine, un scaphandre, des bouteilles d’oxygène, une torche ?). Nos grands fonds recèlent des requins et des poissons colorés, des galions échoués et des trésors ignorés. Ils recèlent aussi mille et une histoires – celles de notre Terre, de notre espèce, de nos ancêtres, de nos parents, de nos jeunes années. Les eaux anciennes se mélangent au flux de notre vie quotidienne à travers des croyances, des habitudes, des représentations.

Notre psychisme entre en résonance avec des paysages, des rencontres, des lectures, des sons et tant d’autres éléments du monde qui nous environne. Parfois c’est un geste, un conte, une chanson. Je crois que l’on peut y puiser des images, des métaphores et des symboles qui nous inspirent et nous soutiennent. Alors que je suis plutôt terrienne, la navigation et les animaux marins ont été des sources de réconfort et d’encouragement considérables dans une phase de vie difficile. Le livre de François Sarano Le retour de Moby Dick[1], par exemple, m’a offert non seulement des informations et des histoires passionnantes et émouvantes, mais également l’image intérieure du cachalot, qui est devenu pour moi l’un des symboles féconds de la plongée en soi et du travail de transformation qui en résulte.

Écouter et attraper au vol ces résonances dans notre quotidien est un art qui s’apprend, un art de l’attention. Ce qui se met à vibrer en nous au contact d’une scène ou d’une image peut être discret, mais y prêter l’oreille permet de développer la vibration en un réseau d’intuitions, d’émotions, d’informations et de sens. Cela ouvre des voies vers notre monde intérieur et donne la permission ou la possibilité à celui-ci de (re)prendre sa place et sa densité. Et ce monde intérieur est notre espace de liberté suprême, notre bien le plus précieux, peut-être.

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[1] François Sarano, Le retour de Moby Dick ou ce que les cachalots nous enseignent sur les océans et les hommes, Arles, Actes Sud, 2017.